Le Danube 3ème partie, de Brăila à la Mer Noire

Dimanche 25 mai :
45°26'15.8″ N, 28°11'49.5″ E
J'étais bien content de quitter cet hôtel ce matin. Tout était parfait, mais c'est un milieu où tout sonne faux. C'est à celui qui aura la plus grosse voiture et le plus beau hors bord. Je les faisais rire en arrivant avec mon petit kayak !
Ce matin, j'ai saisi tout le sens de l'expression " sortir de sa zone de confort". J'étais installé au chaud devant un très bon petit déjeuner et je voyais la pluie dégringoler derrière les carreaux. Pourquoi ne pas rester là ? Pourquoi se mettre en short, pieds nus et rester toute la journée sous la pluie ?
Hier, j'ai revu "ma vipère" et ce matin un de ses petits qui avait été tué.
Finalement, peu de temps après avoir embarqué, la pluie a cessé, en revanche le vent a soufflé de plus en plus fort de face.
J'ai encore longé la suite du port de Braïla, puis 20 km plus loin, celui de Galati qui s'étend sur 12km. Le trafic change, de plus en plus de cargos, de méthaniers. Jusqu'à présent, je croisais surtout des barges qui transportaient du sable ou du charbon, maintenant, c'est du gaz ou de la ferraille.
Les barges circulent H24, je suppose qu'une équipe fait les 3x 8. Mais j'ai vu encore des péniches qui naviguaient "à l'ancienne", le soir le marinier jette l'ancre pour ne repartir que le lendemain.
A midi, j'ai fait une pause à l'entrée de Galati. Un pêcheur qui s'adonnait à son activité favorite s'est montré vraiment adorable avec moi, ne supportant pas que je mange dehors, il m'a installé dans sa cabane, comme j'étais en short, il est allé chercher une de ses vestes pour ne pas que j'aie froid...
J'attendais cette journée depuis le début, je ne peux pas aller plus à l'Est, je suis aux frontières de l'Ukraine et de la Moldavie. J'avais prévu de camper sur une petite île au milieu du fleuve à l'endroit exact des 3 frontières, mais j'ai fini par renoncer. La traversée pour rejoindre la rive roumaine a déjà été périlleuse, j'ai cru que je n'y arriverais pas. Vent de plus en plus fort, vagues très très grosses, très hautes et assez longues donc pas trop dangereuses si on les prend de face, on joue aux montagnes russes. Mais il fallait bien que je  les prenne de travers pour espérer rejoindre l'autre berge.
En pagayant comme un malade, je faisais du sur-place.
Depuis ma tente, j'ai la Moldavie et l'Ukraine devant moi. Juste à gauche, le confluent avec la Prout, très longue rivière de 950 km qui fait frontière entre la Roumanie, la Moldavie et l'Ukraine. Il faudra qu'on la descende un jour, elle est encore beaucoup plus sauvage que le Danube.
J'ai monté ma tente au sec,  au milieu d'une belle prairie, j'étais un peu inquiet pour les troupeaux et surtout les patous, mais un berger vient de passer avec ses brebis et leur a fait faire un détour pour ne pas qu'elles m'importunent.
La pluie doit revenir vers 21h jusqu'à demain après-midi, en revanche, le vent devrait se renforcer ( aïe, aïe, aïe)
Je vous écris sous la tente à l'abri du vent, je mettrai des photos dans un petit moment.

Les prévisions météo étant très humides, je n'ai plus prévu de barbecue et vais donc cuisiner au chaud sous la tente, j'ai assez pris l'air aujourd'hui !

Lundi 26 mai :
45°16'30.0″ N, 28°28'40.1″ E
Journée pluvieuse, pliage du camp sous la pluie et averses, brouillard toute la journée.
A 3h du matin, une sirène a sonné de l'autre côté, en Ukraine...
Au départ, vent fort, pas mal de vagues, mais après un grand virage, plus rien, ni vent, ni vagues, ni courant.
Journée monotone, grandes lignes droites. Je me suis fait contrôler par la police au milieu du fleuve. Pas cool, il a fallu que je vide tout mon sac de pont (sous la pluie) pour trouver mes papiers tout en me tenant au bateau de la police.
Incroyable ! Ils m'ont rappelé que je ne devais pas m'approcher de la rive ukrainienne ! Ils m'ont quand-même souhaité un bon voyage.
A midi, pour faire une sieste à l'abri de la pluie et des moustiques, je m'étais enroulé dans une bâche. Des pêcheurs qui passaient par là sont venus voir si j'allais bien.
Je longe la frontière ukrainienne
pendant deux jours. L'entrée du delta est dans 20km !
Aujourd'hui, la motivation n'était pas d'admirer le paysage, mais d'entrer bientôt dans le delta du Danube.

Mardi 27 mai :
45°11'26.3″ N, 28°48'10.4″ E
Après plus de 700km, je suis entré aujourd'hui dans le delta du Danube !
Très bonnes conditions, pas de vent ni de vagues mais pas de courant non plus.
Ce qui change maintenant, c'est la taille des navires. Je n'ai croisé que des cargos qui arrivent du monde entier, remontent le Danube depuis Sulina et font de très grosses vagues. Demain, j'aurai également les innombrables hors-bords à pleine puissance qui emmènent les touristes dans le delta.
Je me suis posé dans le seul camping de tout mon trajet, il était fermé hier, mais quand j' ai contacté le patron, il m'a dit qu'il le serait aujourd'hui. Je pense qu'il a ouvert pour moi ! Camping Danubius.
Alex, le patron, m'a accueilli très chaleureusement, cherchant toujours à me rendre service, quand il m'a vu nettoyer mon bateau, il est allé me chercher des seaux d'eau, pendant mon absence, il a déplacé mon linge pour qu'il sèche mieux. En ce moment, il me prépare des poissons du Danube grillés avec des oignons bios de son jardin et une salade bio également. Et un petit schnaps de prune offert par la maison.
Son camping se trouve rive gauche, cette après-midi, j'ai donc pris un bac pour traverser le fleuve et visiter Tulcea.
Avant d'arriver à Tulcea, j'ai quitté la frontière ukrainienne pour m'engager sur le défluent de Tulcea. Il y a 3 bras principaux dans le delta, demain, j'avais prévu de m'engager sur le défluent de Sulina, mais en discutant avec Alex, il m'a conseillé de passer par de minuscules canaux afin d'observer la faune. Si je ne me perds pas dans ce marécage ! J'espère avoir assez d'anti moustiques ! C'est une autre aventure qui commence ! Je mettrai au moins un jour de plus pour atteindre Sulina, mais j'espère profiter de cet endroit exceptionnel. Et si je suis perdu, je pourrai toujours manger du pélican ! Je ne suis pas sûr d'avoir de la connexion demain pour vous donner des nouvelles.

Mercredi 28 mai :
45°13'44.2″ N, 29°15'10.4″ E

Résumé succinct, je donnerai plus de détails avec photos demain .
Journée à traverser le marécage sur 45 km. Trombes d'eau ce matin. Vu et photographié des centaines de pélicans,, des aigles....
Je me suis posé ce soir dans un village merveilleux, Mila 23, complètement perdu dans le delta, sans voitures, qui vit de la pêche et du tourisme. ( Classé UNESCO)
J'ai planté ma tente chez Florian et Cosmina qui organisent des sorties kayak. Ils m'ont invité à manger et à boire ! Photos demain

Jeudi 29 mai :

C'EST FINI !

Mais pas comme je le pensais...

J'avais prévu de planter ma tente ce soir sur la plage au bord de la mer noire, mais la vie en a décidé autrement. Des problèmes familiaux m'ont obligé à terminer ce matin et rentrer en France. Je me suis donc arrêté à Mila 23, à 30 km de la mer.

Il faudra donc que l'on revienne, la vie dans le delta est extraordinaire, les animaux, mais aussi les humains. Des villages complètement coupés du monde accessibles uniquement en bateau qui vivent de la pêche et du tourisme avec une population jeune.

A Mila 23, les habitants sont des Russes venus s'installer ici il y a 200 ans et qui ont conservé leurs coutumes.

Si vous souhaitez découvrir le delta avec un passionné, Florian organise des sorties kayaks pour faire partager les trésors cachés des minuscules canaux.

Si vous êtes intéressés :

turecucaiacul.ro

Il suffit de prendre un bateau rapide à Tulcea pour Mila 23. Vous pouvez camper chez Florian et Cosmina puis partir en kayak découvrir la nature, les animaux, les petits villages complètement isolés....

Mais soudain, ils sont arrivés par centaines....

Et beaucoup d'autres oiseaux aussi...

Florian et Cosmina m'ont invité à partager leur poisson grillé, du scrumbia délicieux. Avec un petit vin blanc et de la liqueur de prune. Et ça s'est terminé dans un bar du village...

Ce matin, j'ai pris la décision de rentrer prématurément. Florian a voulu faire un selfie avec moi, le kayakiste qui a parcouru 800 km avant de s'arrêter chez lui !

Samedi 32 mai : EPILOGUE

Finalement, j'aurais pu terminer, les gendarmes ont retrouvé la personne disparue saine et sauve. Mais j'avais tout plié et avais commencé à rentrer.

Je suis donc resté 1jour et demi à Bucarest et suis rentré en avion ce soir. J'ai bien aimé cette ville. Le quartier branché Lipscani est très animé le soir.

Mon kayak a donc voyagé en hors-bord, en minibus, à pied, en taxi et finalement en avion.

Je dors dans un hôtel de l'aéroport et rentre demain en Flixbus à Besançon.

Je rajouterai une photo de la descente du bus à Besançon, à l'endroit où je suis parti il y a 28 jours.

Et j'avais oublié à Bucarest, un jarret de porc et un magret de canard, entre autres...

Dimanche 1er juin :

Cette fois, ça y est, le bus m'a déposé à l'endroit où j'étais parti.

J'ai commencé le nettoyage, il y a du travail !

BILAN

Cette descente du Danube a été un peu singulière comparée à nos sorties habituelles.

Déjà le gigantisme du fleuve qui atteint par endroits 5km de large.
L'absence de barrages depuis Les portes de Fer.
Une descente dans un environnement sauvage, j'ai parcouru jusqu'à 50 km sans présence humaine.
Une météo qui pouvait subitement rendre la descente dangereuse.
Et moi, au milieu de tout ça sur ma petite coque de noix. Je n'avais pas trop le droit à l'erreur, personne n'aurait prévenu les secours ou serait venu m'aider en cas de problème, tout simplement parce qu'il n'y avait personne la plupart du temps.
J'avais quand-même emporté une VHF, en cas de problème, s'il n'y avait pas de connexion, je pouvais espérer contacter une péniche ou un cargo naviguant dans la région.
Je n'ai pas eu besoin de ma VHF, je n'ai jamais composé le 112, je n'ai jamais ouvert mon sac à pharmacie, et pourtant j'ai eu quelques bonnes frayeurs. Craintes que ma tente s'envole sous l'orage, mais surtout quelques moments de grande solitude lorsque le vent transformait le fleuve en une mer déchaînée.

Tout ne s'est pas déroulé comme espéré, tel un enfant qui  attend un bon point, j'espérais une belle image finale. Évidemment, le plus important n'est pas le but, mais le chemin. Oui, oui, mais quand-même j'aimais bien quand la maîtresse me gratifiait d'un bon point ( c'était si rare !)

C'était la première fois que je partais si longtemps en solo. J'apprécie beaucoup la solitude, mais croiser quelques petites gargotes, des hébergements chez l'habitant, mini campings familiaux, comme on en trouve en amont du côté de la Hongrie, Autriche ou Serbie ne m'aurait pas dérangé.
Malgré ce petit bémol, cette descente a été exceptionnelle.
Peu de rencontres mais un dépaysement total. Même les interminables lignes droites ne m'ont pas découragé tant l'environnement m'émerveillait.

Difficile de rendre compte avec des photos de l'ambiance sur ce fleuve, les chants d'oiseaux qui m'ont accompagné tout au long de la descente, l'immensité du paysage, l'isolement total, la lutte contre des vagues un peu trop hautes à mon goût.
J'ai fait peu de rencontres, mais
tous les gens que j'ai croisés m'ont soutenu par un signe, par des invitations que j'ai souvent déclinées, des encouragements, des photos ...
J'ai traversé des moments d'euphorie, de bonheur, mais aussi de doutes et d'inquiétude.

Nous avons pris l'habitude de vivre dans un environnement ultra protecteur, des maisons, des voitures, des services de secours toujours disponibles, des smartphones qui nous permettent de rester en contact avec le monde entier. Sans smartphone ou connexion, certains angoissent vite.
Fait inhabituel, je me suis retrouvé à ma juste place dans la nature avec pour protection une fine toile de tente et un tout petit bateau ; j'étais obligé de vivre à l'écoute  du monde extérieur : repérer les traces d'animaux avant de choisir mon lieu de bivouac, être à l'affût du moindre changement de temps,
anticiper sur les conditions futures, surveiller l'arrivée de gros bateaux, des chiens sauvages...

Je suis rentré, un peu déphasé après ce mois si particulier, je lave et range tout mon matériel afin que tout soit toujours prêt pour un nouveau départ...
 D'autres cours d'eau me font de l'oeil, le Yukon et pourquoi pas la Volga si les hommes se calment un peu...